Page:Tinayre - La Rancon.djvu/81

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mée sa sœur et, sans préméditation, sans calcul, elle laissa déborder la tendresse de son âme. Elle recevait ses amis le même soir, et la banalité de leurs réflexions lui fit sentir combien l’amitié est pâle et froide à côté de l’amour. Triste à pleurer, elle souffrait dans sa solitude au milieu de ses amis, entre son mari et son enfant. Que faisait Chartrain à cette heure ? Il veillait la morte, il invoquait vainement une chère présence, il pleurait ces larmes douloureuses des hommes mûrs, déshabitués des faciles explosions sentimentales qui soulagent les douleurs de la jeunesse. Peut-être, dans le silence de la nuit, évoquait-il les tristesses de sa vie, les rancœurs, les déceptions, le premier deuil ? Et Jacqueline, parée, fêtée, dans l’apparat d’un soir de réception, croyait sentir les larmes d’Étienne lui tomber, toutes brûlantes, sur le cœur.

Elle traîna toute la soirée la mélancolie de son impuissance, la sourde irritation de constater que l’absence et la douleur de Chartrain ne changeraient rien autour d’elle. Elle ne songeait pas à dissimuler son souci constant. Elle n’avait plus honte de son amour. Il lui semblait légitimé par le malheur d’Étienne. Elle ne se demandait plus si ce sentiment était innocent ou coupable,