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Page:Tinayre - Les Lampes voilees.djvu/45

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pête est morte, qu’aucun souffle n’ébranlera plus jamais le couvercle funèbre abaissé sur la Grande-Ile.

Mettant ses pas dans les pas qu’elle a faits la veille, traçant la forme future des pas qu’elle fera le lendemain, Laurence marche, invisible en son vêtement violet et noir qui l’apparente au crépuscule. Déjà, l’œuvre du jour lui devient étrangère ; l’infirmerie, les enfants, le docteur, le pauvre soldat, tout recule et s’efface dans sa pensée. Elle n’éprouve pas l’allégresse que donne au bon ouvrier la tâche accomplie avec amour : elle est sans joie, sans chagrin, sans regret et sans espérance, comme les choses qui se soumettent à l’hiver et s’abandonnent à la nuit.

Souvent, elle a connu cet état où l’anéantissement du désir conduit l’âme fatiguée de lutter vainement et l’âme fatiguée d’attendre vainement la lutte. Résignation sans douceur, détachement sans amertume, passions tombées comme le vent tombe ; aucun élan vers la vie et pas même vers la mort. Et cependant nulle crainte.