Page:Tinayre - Les Lampes voilees.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mes pensées et je m’y sentis extraordinairement solitaire.

» Je poussai jusqu’à la côte vaseuse qu’abandonnait la marée descendante. Sur les eaux vertes et grises, rebroussées par le vent, la Grande-Ile apparut, nuage sombre au ras du ciel sombre. Elle sortait de la mer avec ses dunes, ses pinèdes, sa forteresse démantelée, avec votre fantôme et mes souvenirs…

» La Grande-Ile ! Mon regard errant du Fortin à Saint-Eutrope et du Sémaphore au Vert-Village, pouvait déterminer exactement la place de votre maison. Vous étiez là, mon amie, ô mon amie ! Si proche et cependant inaccessible, perdue dans la masse brumeuse de la forêt qui ne connaît pas d’automne et de printemps et qui est, comme vous croyez être, toujours pareille à elle-même… « Que fait Laurence ? me disais-je, où est-elle en cet instant ? Assise près de sa mère, un ouvrage de couture aux doigts ? Penchée sur un lit d’enfant ? Seule, dans ces chemins sablonneux que nous avons parcourus ensemble ? Seule, sur la