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Page:Tinayre - Notes d une voyageuse en Turquie.djvu/205

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CHOSES ET GENS DE PROVINCE

de tout âge — il y a même de petits garçons parmi eux — défilent devant leur supérieur qui reste immobile, et qui a les paupières baissées, le sourire ambigu d’un Bouddha. Chacun s’incline, baise la manche de l’imam, et passe les bras croisés. Dans la galerie, la longue flûte de roseau commence à gémir ; le tambourin vibre, à coups rythmés ; un chant aigu, strident, triste et passionné, entraîne les processionnaires comme un irrésistible courant. Ils décroisent lentement leurs bras, à mesure que se meuvent leurs pieds sous la jupe élargie en cloche. Puis, fermant les yeux, penchant la tête, avec le souple mouvement d’un nageur, ils flottent, abandonnés sur le fleuve tourbillonnant de l’extase.

Et plus vite, toujours plus vite, sans jamais se heurter, dans la lourde fleur épanouie de leurs robes vertes ou brunes, ils dessinent les figures des constellations ; ils deviennent le flot, le vent, la planète ; ils participent au tournoiement éternel de l’univers autour de l’axe mystique qui est Dieu. La flûte les appelle ; le