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LA VIE AU HAREM

Je revois celles qui représentent le passé : je revois la vieille dame d’Andrinople, — silhouette ratatinée, serre-tête noir, minces bandeaux teints au henné comme les ongles. — Première épouse d’un pacha, elle avait choisi elle-même une seconde épouse à son mari, et elle avait tendrement élevé le fils de sa… coadjutrice.

Femme du passé, elle aussi, cette seconde épouse qu’aucune jalousie n’a effleurée, qui demeure, à quarante-cinq ans, si déférente pour la hanoum décrépite, et vit à l’aise dans son ignorance, comme dans les larges robes où flotte son corps amolli.

Ces deux femmes ont vécu heureuses parce que leurs désirs et leurs besoins étaient conformes à la loi qui réglait leur vie. Et leur bru commune, la pâle jeune femme aux yeux toujours baissés, est heureuse aussi. Sa maison, son petit jardin, bornent ses rêves. Elle n’a jamais lu les livres « où l’amour est écrit ». Soumise à son époux débonnaire, elle n’a pas besoin de savoir « comment aiment les autres hommes ».