Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 2.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droits de l’humanité, et puis ils l’ont instruit de la valeur et de l’inviolabilité de ces droits. Ils ont ouvert leurs rangs à leurs esclaves, et quand ces derniers tentaient d’y pénétrer, ils les ont chasses avec ignominie. Voulant la servitude, ils se sont laissé entraîner, malgré eux ou à leur insu, vers la liberté, sans avoir le courage d’être ni complètement iniques, ni entièrement justes.

S’il est impossible de prévoir une époque où les Américains du Sud mêleront leur sang à celui des nègres, peuvent-ils, sans s’exposer eux-mêmes à périr, permettre que ces derniers arrivent à la liberté ? Et s’ils sont obligés, pour sauver leur propre race, de vouloir les maintenir dans les fers, ne doit-on pas les excuser de prendre les moyens les plus efficaces pour y parvenir ?

Ce qui se passe dans le sud de l’Union me semble tout à la fois la conséquence la plus horrible et la plus naturelle de l’esclavage. Lorsque je vois l’ordre de la nature renversé, quand j’entends l’humanité qui crie et se débat en vain sous les lois, j’avoue que je ne trouve point d’indignation pour flétrir les hommes de nos jours, auteurs de ces outrages ; mais je rassemble toute ma haine contre ceux qui, après plus de mille ans d’égalité, ont introduit de nouveau la servitude dans le monde.

Quels que soient, du reste, les efforts des Américains du Sud pour conserver l’esclavage, ils n’y réussiront pas toujours. L’esclavage, resserré sur un seul point du globe, attaqué par le christianisme comme injuste, par l’économie politique comme funeste ; l’esclavage, au milieu de la liberté démocratique et des lumières de