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Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/288

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repousser : tout le monde en Angleterre est d’accord sur ce point ; ceux mêmes qui nient les autres avantages de la mesure avouent celui-là.

Il résulte au contraire des observations de tous les gouverneurs de nos colonies, des avis des conseils spéciaux et du langage même des assemblées coloniales que, dans leur état actuel, nos îles à esclaves seraient très-difficiles à défendre. La chose parle d’elle-même ; comment résister à une attaque extérieure qui prendrait son point d’appui dans les intérêts évidents et dans les passions tant de fois excitées de l’immense majorité des habitants ? À la Martinique et à Bourbon, la population esclave est double de la population libre ; à la Guyane, elle est triple, et presque quadruple à la Guadeloupe. Qu’arriverait-il si les régiments noirs des îles anglaises débarquaient dans ces colonies en appelant nos esclaves à la liberté ?

L’impossibilité de soutenir avec succès une pareille lutte n’a pas besoin d’être démontrée. Elle saute aux yeux. Au premier coup de canon tiré sur les mers, il faudrait procéder brusquement à une émancipation nécessairement désastreuse, parce qu’elle ne serait pas préparée, ou se résigner à voir nos possessions conquises. Où allons-nous donc ? Si la paix dure, le statu quo amène une ruine graduelle, mais certaine ; si la guerre survient, il rend inévitable une catastrophe. Une existence convulsive et misérable, une agonie lente ou une mort subite, voilà le seul avenir qu’il réserve aux colonies. Il n’y a pas d’hommes politiques ayant quelque peu étudié les faits qui n’aperçoivent cela avec la dernière évidence ni qui supposent qu’au point où en sont arrivées les choses, on puisse sauver nos possessions d’outre-mer sans faire subir une modification profonde à leur état social. Mais, parmi ceux-là même, il en est bon nombre qui ne veulent point abolir l’esclavage. Pourquoi ? Il faut bien s’en rendre compte. Parce qu’ils pensent que les colonies ne valent ni le temps, ni l’argent, ni l’effort que coûterait une pareille entreprise. Les colons se font, en ceci comme en beaucoup d’autres choses, une illusion singulière : ils attribuent à une sorte d’ardeur coloniale les résistances que l’abolition de l’esclavage rencontre au sein des chambres et dans les conseils de la couronne. Malheureusement, ils se trompent. On repousse l’émancipation, parce qu’on tient peu aux colonies et qu’on préfère laisser mourir le malade que payer le remède.

Je suis si convaincu, pour ma part, que l’indifférence croissante