Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/365

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des bagnes. Mais elle s’était divisée sur le point de savoir s’il fallait, soumettre dès à présent les condamnés aux travaux forcés, les réclusionnaires, et même tous les détenus correctionnellement, au système de l’emprisonnement individuel.

La minorité de cette époque avait jugé qu’il fallait commencer par n’appliquer la détention cellulaire qu’aux individus condamnés à de courtes peines. Cette opinion moyenne a été de nouveau soutenue avec beaucoup de vivacité et de talent par un membre de votre Commission.

D’abord, a-t-il dit, est-il vrai que la société ait un aussi grand intérêt qu’on le prétend à s’occuper immédiatement de la réforme des bagnes et des maisons centrales ? Le contraire est prouvé par les tableaux de la justice criminelle. Ces documents statistiques démontrent qu’on s’exagère beaucoup le nombre et l’atrocité des crimes commis par les bommes qui sortent des maisons centrales et des bagnes, et, qu’à tout prendre, ces hommes sont moins redoutables à l’ordre public que les autres libérés[1]. Alors même, d’ailleurs, que l’intérêt social serait aussi pressant qu’on se l’imagine, serait-il sage d’entreprendre immédiatement la réforme ?

Une très-grande incertitude règne encore, de l’aveu de tout le monde, sur les effets physiques et moraux que doit produire l’emprisonnement cellulaire sur les criminels condamnés à de longues peines. Il est probable que ces effets seront salutaires ; mais, enfin, l’expérience sur ce point est muette ou incomplète. Attendons qu’elle se soit expliquée avant de demander au trésor public les sacrifices considérables qu’exige la construction des maisons cellulaires, destinées à remplacer les bagnes et les maisons centrales. Bornons

    grand avantage à ce que les criminels condamnés aux travaux forces fussent détenus dans l’intérieur du royaume, et renfermés dans des prisons où ils seraient appliqués à des ouvrages qui n’exigeraient aucun contact avec des ouvriers libres.

    «Signé ROSAMEL»

  1. C’est ainsi qu’en 1841, sur 126 assassinats, meurtres, empoisonnements imputables aux récidivistes, 55 seulement ont été commis par les hommes qui sortaient des bagnes et des maisons centrales, tandis que 71 ont eu pour auteurs des individus qui sortaient des prisons départementales.