Page:Tocqueville - Œuvres complètes, édition 1866, volume 9.djvu/366

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nous à la portion de l’œuvre qu’on peut entreprendre avec certitude de succès.

À ces raisons, il a été répondu : Fût-il vrai que, comparativement aux autres libérés, les libérés des bagnes et des maisons centrales commissent moins de crimes et des crimes moins graves qu’on ne se le figure, il n’en resterait pas moins constant que tous ces hommes sortent des prisons dans un état d’immoralité profonde et radicale, qui en fait un objet de terreur légitime pour les populations au sein desquelles ils retournent après avoir subi leur peine. Le mal social peut être moindre qu’on ne le suppose ; mais nul ne saurait nier qu’il ne soit très-grand et qu’il n’y ait nécessité pressante à y appliquer le remède.

On veut, dit-on, attendre que l’expérience de l’emprisonnement individuel à long terme soit complètement faite : c’est rejeter à un avenir indéfini la réforme des bagnes et la construction des nouvelles maisons centrales dès à présent nécessaires. Une grande prison dirigée d’après le régime de l’emprisonnement individuel existe depuis treize ans aux États-Unis ; des commissaires envoyés par plusieurs des principales nations de l’Europe font vue et l’ont préconisée. Si l’on ne veut pas se contenter de cet exemple, il faut donc attendre que des prisons semblables à celle de Philadelphie s’élèvent en Europe ; si cela a lieu, il faut encore surseoir jusqu’à ce que les peines les plus longues aient été subies dans ces prisons, et si l’on tient à connaître exactement l’effet réformateur du régime, il conviendra de rester inactif jusqu’à ce que les récidives soient reconnues. Ce point éclairci, la question ne sera pas encore tranchée, car l’effet qu’un système d’emprisonnement peut produire sur les détenus ne peut être complètement apprécié que quand on agit sur des criminels qu’un autre système d’emprisonnement n’a pas déjà dépravés ; c’est-à-dire que, pour juger en parfaite connaissance de cause un nouveau système, il est nécessaire que toute la génération de ceux qui ont été condamnés et emprisonnés sous le précédent ait disparu. Quand enfin ces diverses notions seront acquises, on pourra encore se demander si l’emprisonnement qui réussit chez un peuple ne trouve pas dans le caractère et les dispositions naturelles d’un autre des obstacles insurmontables.

La vérité est que tout changement considérable dans le régime des prisons est une opération difficile qui entraîne avec elle, quoi