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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/317

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sement adieu, et se permit pour la première fois de lui baiser la main.

— Oh ! ce n’est rien, répondit-il en rougissant quand la princesse lui exprima sa reconnaissance pour son salut (comme elle appelait son acte). N’importe quel policier eût fait la même chose. Si nous n’avions qu’à faire la guerre aux paysans, nous ne laisserions pas l’ennemi si loin, dit-il comme s’il avait honte de quelque chose et tâchait de changer de conversation. Je suis heureux d’avoir eu l’occasion de faire votre connaissance. Au revoir, princesse, je vous désire le bonheur et la consolation et je souhaite vous rencontrer dans des circonstances plus heureuses. Si vous ne voulez pas me faire rougir, je vous prie de ne pas me remercier.

Mais si la princesse ne remercia plus par les paroles, elle remercia par toute l’expression de son visage éclairé de reconnaissance et de tendresse. Elle ne pouvait le croire quand il disait qu’il n’y avait pas de quoi remercier. Au contraire, pour elle, il était indiscutable que sans lui elle devait sûrement périr par la main des révoltés ou des Français, que lui, pour la sauver, s’était exposé aux dangers les plus certains et les plus terribles, et que, chose encore moins indiscutable, c’était un homme à l’âme haute et noble qui avait su comprendre sa situation et sa douleur. Ses yeux bons et honnêtes, avec les larmes qui s’y montraient