Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol10.djvu/411

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joie. Il se rappelait vivement une soirée à Pétersbourg. Natacha, avec un visage animé, ému, lui racontait comment l’été précédent, en allant chercher des champignons, elle s’était égarée dans la grande forêt. Elle lui décrivait sans liens la profondeur de la forêt, ses sentiers, sa conversation avec un éleveur d’abeilles qu’elle avait rencontré, et, à chaque instant, interrompant son récit, elle disait : « Non, je ne peux pas, je raconte mal. Non, vous ne comprenez pas, » bien qu’il la rassurât et lui dît qu’il comprenait. Et, en effet, il comprenait tout ce qu’elle voulait dire.

Natacha était mécontente de son récit, elle sentait qu’elle ne rendait pas cette sensation vive, poétique qu’elle avait éprouvée ce jour-là et qu’elle voulait exprimer.

« C’était un charme, ce vieillard, et la forêt était si sombre… Et il y avait en lui tant de douceur… Non je ne sais pas raconter, » disait-elle émue, et rougissante. Le prince André souriait maintenant du même sourire joyeux avec lequel il regardait alors ses yeux. « Je la comprenais, pensait le prince André. Non seulement je comprenais, mais c’est cette force d’âme, cette franchise, cette fraîcheur d’âme que le corps paraissait lier, que j’aimais en elle… J’aimais tout… j’étais si heureux… »

Et tout à coup il se rappela la fin de ce roman. « Pour lui rien de tout cela n’était nécessaire ; lui