Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol11.djvu/190

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conduit à Mojaïsk, au cœur même de la bataille, qui maintenant lui avait fait quitter sa maison et, au lieu du luxe habituel et des commodités de la vie, dormir tout habillé sur un divan dur et manger la même nourriture que Guérassime.

L’autre sentiment était ce sentiment vague, exclusivement russe, de mépris pour tout ce qui est condition artificielle, pour tout ce que la majorité regarde comme le bien suprême au monde. Pierre avait éprouvé pour la première fois ce sentiment étrange et charmeur au palais de Slobotzk, quand, tout à coup, il sentit que richesses, pouvoir, vie, tout ce que les gens arrangent et gardent avec tant de soin, tout cela ne vaut que par le plaisir avec lequel on peut l’abandonner.

C’est sous l’influence de ce sentiment que le remplaçant dépense son dernier sou, que l’ivrogne casse les glaces et les vitres, sans aucune cause et sachant qu’il lui en coûtera son dernier kopeck, sentiment grâce auquel l’homme, en commettant les actes fous, paraît essayer son pouvoir personnel et sa force.

Depuis que Pierre s’était trouvé pour la première fois en cet état, au palais de Slobotzk, il restait sans cesse sous son influence, mais maintenant seulement il en éprouvait une entière satisfaction.

En outre, pour le moment, Pierre était soutenu dans son intention et privé de la possibilité d’y renoncer par ce qu’il avait déjà fait : le départ de