Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/233

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elle sourira et répondra : « Comme c’est drôle ! Il s’est trompé. Ne sait-il pas qu’il est très ordinaire ? et moi… moi, je suis un être tout autre… supérieur… »

C’était le seul doute qui vînt à Pierre.

En outre, maintenant il ne faisait aucun plan.

Le bonheur futur lui semblait si incroyable que, s’il arrivait, il ne pourrait y avoir rien au delà : tout devait se terminer avec lui.

Une folie joyeuse, inconnue, dont Pierre se croyait incapable, s’emparait de lui. Tout le sens de la vie, non pour lui seul, mais pour tout le monde, lui semblait se renfermer seulement dans son amour et dans la possibilité de son amour pour lui. Parfois tous les hommes lui semblaient occupés d’une seule chose, de son futur bonheur. Il lui semblait parfois que tous se réjouissaient comme lui et tâchaient de cacher leur joie en feignant d’être occupés de quelque autre intérêt.

Dans chaque parole, dans chaque mouvement, il voyait des allusions à son bonheur. Souvent, par ses regards et ses sourires importants, satisfaits, d’accord avec ses sentiments intimes, il étonnait les gens. Mais quand il comprenait que certains pouvaient ne pas connaître son bonheur, il les plaignait de toute son âme et éprouvait le désir de leur expliquer d’une façon quelconque que tout ce dont ils étaient occupés n’était que sottise ne méritant nulle attention. Quand on lui proposait d’en-