Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol12.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

position que sont basés les rapports, et sur ces rapports les descriptions militaires. Faites le tour des troupes aussitôt après la bataille, ou le lendemain, ou trois jours après, avant que les rapports ne soient écrits et donnés à tous les soldats, aux chefs grands et petits, et demandez ce qui s’est passé. On vous racontera ce que tous ces hommes ont vu et éprouvé et en vous se formera une impression majestueuse, compliquée, variée à l’infini, pénible et vague, et de personne, encore moins du commandant en chef, vous ne saurez comment l’affaire s’est passée. Mais deux ou trois jours après on dresse les rapports, chacun commence à raconter ce qu’il n’a pas vu, enfin on fait un rapport général d’après lequel se forme l’opinion générale de l’armée. Chacun est heureux d’échanger les doutes et les interrogations contre une représentation mensongère, mais claire et toujours flatteuse. Un ou deux mois après, interrogez un homme qui a pris part au combat et déjà vous ne sentez plus dans son récit le même matériel brutal, vital, qui y était auparavant, mais il raconte d’après les rapports. C’est ainsi que m’ont raconté la bataille de Borodino plusieurs participants intelligents de cette bataille. Tous disent la même chose