Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol14.djvu/226

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reculons et s’enfonce dans la forêt. En moi-même je pense : « Mon coup est manqué. Il ne reviendra plus sur moi, maintenant ; que mon compagnon le tire ou qu’il passe à travers les paysans, il ne reviendra plus sur moi. »

J’étais resté debout, j’avais rechargé mon fusil et j’écoutais. De tous côtés les paysans criaient ; mais à droite, non loin de mon compagnon, j’entendis une femme hurler de toutes ses forces : « Le voilà ! Le voilà ! Le voilà ! Par ici ! Par ici ! Ah ! ah ! ah ! »

Évidemment, l’ours était en vue. Ayant perdu l’espoir qu’il revienne de mon côté, je jette les yeux à droite, sur mon compagnon. Je vois Démian, sans skis, armé d’un bâton, qui accourt dans le sentier vers mon compagnon. Il s’accroupit près de lui, avec son bâton, lui désigne quelque chose, en faisant le geste de viser. Mon compagnon épaule aussitôt et vise dans la direction indiquée par Démian.

Feu ! Le coup est parti. « Eh bien ! Il l’a tué » pensai-je. Cependant j’ai beau ouvrir les yeux, je ne le vois pas courir vers l’ours. « Le coup a raté, sans doute, ou il a mal visé, me dis-je. Maintenant la bête va se sauver à reculons, et je ne la verrai plus de mon côté. »

Mais quoi ? Devant moi, soudain, j’entends quelqu’un se précipiter comme un tourbillon, et, faisant jaillir la neige, haleter tout près de moi.