Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol14.djvu/233

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— Ne te laisse pas devancer ! Encore un effort !

Tout à coup, sur le pont, quelqu’un s’écrie :

— Un requin !

Et tous nous aperçûmes sur l’eau le dos du monstre.

Il nageait droit sur les enfants.

— Arrière ! Arrière ! Revenez vite ! Un requin ! criait l’artilleur.

Mais ils ne l’entendirent point ; ils riaient, s’amusaient, nageaient plus loin et riaient encore plus fort. L’artilleur pâle, immobile ne quittait pas les enfants des yeux.

Les matelots détachèrent vivement une barque dans laquelle ils se jetèrent, et, ramant à briser les avirons, ils volèrent au secours des enfants. Mais ils étaient encore loin d’eux tandis que le requin n’en était qu’à vingt brassées.

Les enfants n’avaient rien vu ni entendu, mais, soudain, l’un d’eux se retourna. Nous entendîmes un cri d’épouvante, puis ils se séparèrent. Ce cri tira l’artilleur de sa torpeur, il courut au canon, ajusta, visa et prit la mèche ; nous tous restions pétrifiés d’horreur, dans l’attente de ce qui allait se passer. Le coup retentit, et nous vîmes l’artilleur retomber auprès de son canon, en se cachant le visage de ses mains. Pendant un moment la fumée nous empêcha de voir ce qu’étaient devenus le requin et les enfants ; mais lorsque la fumée se dissipa, nous entendîmes un doux murmure qui se