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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol14.djvu/300

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Ma jeune femme sanglotait, mon père restait sombre, et quand ma mère apporta le gruau sur la table, personne n’y toucha. Ma mère se mit à appeler Nicolas pour souper. Il descendit, se signa, s’assit à table et dit :

— Ne pleure pas, mère, je remplacerai Petrouchka ; je suis plus âgé que lui, je ne serai peut-être pas perdu, je ferai mon temps et reviendrai à la maison. Quant à toi, Pierre, pendant mon absence, secours mon père et ma mère, respecte ma femme.

À cette nouvelle, je devins très gai, ma mère cessa de pleurer et l’on commença les préparatifs du départ de Nicolas.

Le lendemain, quand, en me réveillant, je songeai que mon frère allait partir à ma place, j’eus le cœur gros et je lui dis :

— Ne pars pas, Nicolas, c’est à moi de partir. Le sort l’a voulu, j’irai !

Il ne répondit rien et continua ses préparatifs. Moi, je me préparais aussi. Nous partîmes tous deux pour la ville. Arrivés au bureau de recrutement, il se présenta et moi aussi. Nous sommes tous deux de solides gaillards ; nous restons ; on ne nous réforme pas. Mon frère aîné me regarde, sourit et me dit :

— Assez, Pierre, retourne à la maison et ne vous attristez pas à cause de moi, je pars de mon plein gré.