Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/404

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ché, tâchant de s’endormir, bien qu’il n’en eût pas même l’espoir, et il répétait sans interruption, à voix basse, le même mot d’une phrase quelconque, espérant empêcher ainsi l’apparition de nouvelles images. Il écoutait et entendait ces mots répétés dans un murmure étrange, hallucinant : « Tu n’as pas su apprécier, tu n’as pas su profiter ! Tu n’as pas su profiter ! »

« Qu’est-ce donc ? Est-ce que je deviens fou ? se dit-il. Peut-être. C’est ainsi qu’on devient fou, c’est ainsi qu’on se suicide ! » se répondit-il. Et, ouvrant les yeux, avec étonnement il aperçut près de sa tête un coussin brodé, travail de Varia, la femme de son frère. Il toucha la frange du coussin et tâcha de se représenter Varia, telle qu’il l’avait vue la dernière fois. Mais il lui était pénible de penser à quelque chose d’étranger à sa peine. « Non ! il faut s’endormir ! » Et rapprochant le coussin, il y enfouit sa tête, mais il devait faire un grand effort pour tenir ses yeux fermés. Soudain, il sursauta et s’assit. « Tout est fini pour moi, se dit-il. Il me faut réfléchir et prendre une décision. Que me reste-t-il à faire ? » Sa pensée parcourut rapidement toute sa vie en dehors de son amour pour Anna.

« L’ambition ? Serpoukhovskoï ? Le monde ? La cour ? » Il ne pouvait s’arrêter sur rien. Tout cela avait un sens auparavant, mais maintenant n’existait plus pour lui. Il se leva, enleva son veston, dégrafa sa ceinture et découvrant sa poitrine velue