Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/310

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cependant ne manquait pas mais Lévine ratait un coup après l’autre.

Les rayons obliques du soleil étaient encore chauds ; ses vêtements étaient collés à son corps, sa botte gauche, pleine d’eau, était lourde et s’attachait à la vase ; sur son visage noirci de poudre la sueur coulait à grosses gouttes ; sa bouche était amère ; son nez rempli de l’odeur de poudre ; ses oreilles étaient pleines du bruit incessant des bécasses ; il ne pouvait toucher le canon de son fusil tant il était chaud ; son cœur battait vite ; ses mains tremblaient d’émotion ; ses pieds las butaient contre les mottes de terre, mais Lévine continuait à avancer et à tirer.

Enfin après un coup stupide il posa à terre son fusil et son chapeau :

« Non, il faut se remettre ! » se dit-il.

Il reprit son fusil et son chapeau, appela Laska et sortit du marais. Il s’assit sur une motte de terre, dans un endroit sec, se déchaussa, fit tomber l’eau de ses chaussures, s’approcha du marais où il but de l’eau ayant un goût de rouille, mouilla le canon de son fusil pour le refroidir, et se lava les mains et le visage. Ainsi rafraîchi, il retourna à l’endroit où se trouvaient des bécasses, avec l’intention ferme de ne pas s’énerver.

Il voulait être calme, mais il n’y réussit pas. Son doigt pressait la détente avant qu’il eût visé l’oiseau. Tout allait de plus en plus mal.