Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/73

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Vronskï regarda aussi par la fenêtre, puis rencontrant les yeux d’Anna, il se tourna vers Golinitchev et il dit :

— Tu connais ce Mikhaïlov ?

— Je l’ai rencontré. C’est un original sans aucune éducation, un de ces hommes nouveaux, sauvages, comme on en voit souvent maintenant, vous savez, ces libres penseurs qui versent d’emblée dans l’athéisme, le matérialisme, la négation de tout. Autrefois… continua Golinitchev, sans remarquer ou vouloir remarquer que Vronskï et Anna avaient le désir de parler, — autrefois le libre penseur était un homme élevé dans les idées religieuses, morales, et qui arrivait à la liberté de la pensée après bien des luttes. Mais nous avons maintenant un nouveau type de libres penseurs-nés qui grandissent sans avoir jamais entendu parler des lois morales, de la religion, de l’existence des autorités et qui, dès leur naissance, sont élevés dans le sentiment de la négation de tout, en un mot, des sauvages. C’est un de ceux-là. Il est, je crois, fils d’un valet à la Cour de Moscou ; il n’a reçu aucune instruction. Entré à l’académie, il acquit une certaine réputation, et comme il n’est pas sot, il a voulu s’instruire. Dans ce but, il s’est adressé à ce qui lui semblait la source de toutes sciences, aux revues. Autrefois, l’homme qui voulait s’instruire, mettons un Français, par exemple, étudiait les classiques, les prédicateurs, les poètes tragiques,