mourant elle était retombée sur la petite et l’avait
estropiée. Les gens s’assemblèrent ; on lava la
morte, on l’ensevelit, on lui fit un cercueil et on la
mit en terre. Les voisins étaient tous de braves
gens. Les petites restaient seules. Où les mettre ?
J’étais alors la seule nourrice du village ; j’allaitais
mon premier-né depuis huit semaines ; je les pris,
en attendant, chez moi.
Les paysans se réunirent ; on causa, on se demanda ce qu’on ferait d’elles et voici ce qu’ils me dirent : « Marie, en attendant, garde les petites, nourris-les de ton lait, et donne-nous le temps de nous mettre d’accord. »
J’avais déjà donné le sein à l’une, mais je n’avais pas fait téter l’autre, l’estropiée ; je ne pensais pas qu’elle pût vivre. Mais je me fis des reproches : elle geignait à faire pitié. Pourquoi ce petit ange doit-il souffrir ? Je la fis téter et j’allaitai les trois enfants, le mien et les deux orphelines.
J’étais jeune, forte, je mangeais bien, j’eus du lait en abondance. Dieu m’assistait. Je faisais téter deux des enfants, le troisième attendait. Quand l’un des deux était rassasié, je prenais le troisième ; et Dieu me fit la grâce de les élever. Le mien mourut deux ans après, et Dieu ne me donna plus d’enfants. Cependant nous avons acquis du bien, nous vivons maintenant au moulin, chez un marchand. Nous avons de bons gages, la vie est facile, mais je n’ai pas d’enfants. Que ferais-je seule, si je