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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol19.djvu/38

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Je ne savais pas moi-même ce que je désirais. J’avais peur de la vie. J’aspirais à en sortir, et cependant j’espérais d’elle encore quelque chose.

Cela se passait à un moment où sous tous les rapports, j’avais ce qui est considéré comme le bonheur complet. Je n’avais pas encore cinquante ans. J’avais une épouse aimante et aimée, de bons enfants, un grand domaine, qui, sans aucune peine de ma part, s’élargissait et prospérait ; j’étais respecté de mes proches et de mes connaissances, plus que je ne l’avais jamais été ; les étrangers me comblaient d’éloges, et je pouvais croire sans fausse vanité que mon nom était célèbre. En outre, non seulement je n’étais ni fou ni malade mentalement, au contraire, je jouissais d’une force morale et physique, que j’ai rarement rencontrée parmi mes camarades. Physiquement, je pouvais travailler au fauchage tout comme les paysans ; intellectuellement, je pouvais travailler huit, dix heures de suite sans éprouver aucune suite fâcheuse de cette assiduité.

C’est dans cet état que j’arrivai à ne pouvoir plus vivre, et qu’ayant peur de la mort, je dus agir de ruse envers moi-même pour ne pas me priver de la vie.

Voici comment se résumait pour moi cet état d’âme : « Ma vie est quelque stupide et méchante plaisanterie qui m’est jouée par quelqu’un. »

Bien que je ne reconnusse point ce quelqu’un qui