Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/114

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Pendant qu’elle parlait, je parvins à réfléchir sur mon état présent et je constatai qu’en ce moment, j’étais amoureux. Aussitôt ce point tranché, ma joyeuse humeur et mon insouciance disparurent subitement, une sorte de brouillard couvrit tout ce qui était devant moi, même ses yeux et son sourire. Je me sentis mal à l’aise, je rougis et perdis la faculté de parler.

— Maintenant, ce sont d’autres temps — continua-t-elle en soupirant et en soulevant un peu les sourcils — tout est beaucoup plus mal, et nous aussi, nous sommes devenus mauvais, n’est-ce pas, Nicolas ?

Je ne pus répondre et la regardai en silence.

— Où sont maintenant les Ivine, les Kornakov ? Vous vous rappelez ? — ajouta-t-elle avec une certaine curiosité en regardant mon visage rouge, effaré : — c’était le bon temps !

Quand même je ne pouvais répondre.

Je fus tiré pour un moment de cette situation pénible par l’entrée dans le salon de la vieille dame Valakhina. Je me levai, la saluai et je redevins capable de parler. Mais avec l’arrivée de la mère de Sonitchka, il se produisit un changement étrange. Toute sa gaieté et toute sa familiarité disparurent d’un coup, même son sourire devint autre, et moins la haute taille, elle-même devint cette demoiselle revenant de l’étranger, que j’avais pensé trouver en elle. Ce changement semblait