Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/115

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n’avoir aucune cause, parce que sa mère sourit aussi agréablement et que ses mouvements exprimaient la même douceur qu’autrefois. Madame Valakhina s’assit dans un grand fauteuil et m’indiqua une place à côté d’elle. Elle parla à sa fille, en anglais, et aussitôt Sonitchka sortit, ce qui me soulagea encore plus. Madame Valakhina m’interrogea sur mes parents, sur mon frère, mon père, ensuite elle me narra ses chagrins, surtout la perte de son mari, et jugeant qu’il n’y avait plus rien à me dire elle me regarda en silence et ce silence et ce regard signifiaient : « Maintenant, mon cher, si tu te levais, si tu disais adieu et si tu partais, tu ferais très bien. »

Mais il se passa en moi quelque chose d’étrange. Sonitchka revint dans le salon avec un ouvrage, s’assit à l’autre extrémité de la pièce et je sentis sur moi ses regards. Pendant que madame Valakhina me racontait comment elle avait perdu son mari, je me souvins encore une fois que j’étais amoureux, et je pensai que sans doute la mère le devinait et je fus envahi d’une telle timidité que je me sentis dans l’impossibilité de faire un seul mouvement qui fût naturel. Je savais que pour me lever et me retirer, je devrais penser où poser le pied, comment tenir la tête, les bras ; en un mot, j’éprouvai presque ce que j’avais éprouvé la veille après avoir bu une demi-bouteille de champagne. Je pressentis que je ne pourrais pas me tirer d’affaire,