Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/348

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— Il n’y a pas de pain, Vot’ xcellence, et il faut rendre le dû aux paysans.

— Comment, pas de pain ? Et pourquoi ceux qui ont de la famille en ont-ils, et toi, sans famille, n’en as-tu pas ? Où est-il donc disparu ?

— Il est mangé, Vot’ xcellence, et maintenant il n’en reste plus une miette. Je rachèterai le cheval vers l’automne, Vot’ xcellence.

— Ne va pas penser à vendre le cheval !

— Comment, Vot’ xcellence, et alors, sans cela, comment vivrons nous ? Il n’y a pas de pain et il faut ne rien vendre — dit il à part lui, en remuant les lèvres et en jetant tout à coup un regard hardi sur le visage du maître. — Alors, c’est mourir de faim !

— Fais attention, mon cher ! — cria Nekhludov, pâlissant et bouleversé par une colère contre le paysan, — je ne souffrirai pas un paysan comme toi… Ça ira mal pour toi.

— C’est la volonté de Vot’ xcellence si j’ai démérité devant vous, — répondit-il en fermant les yeux, avec une expression de feinte soumission. — Mais il me semble qu’on n’a aucun vice à me reprocher. Mais c’est connu, si je ne plais plus à Vot’ xcellence, alors c’est tout à votre volonté. Seulement je ne sais pas pourquoi je dois souffrir ?

— Et voici pourquoi : parce que ta maison est en ruines, parce que le fumier n’est pas recouvert, parce que tes haies sont brisées, et que