Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol22.djvu/150

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fait son devoir pour ne pas être importuné, ou celle de l’individu qui oblige son ami à contre-cœur. On peut apprendre quelque chose, et même beaucoup, de ceux qui, à bien des égards, ne suivent pas le bon chemin ; si ceux-ci, par exemple, songent à l’avenir et se ménagent, avec les moyens dont ils disposent aujourd’hui, une position sûre pour des éventualités difficiles, pourquoi vous, à plus forte raison, n’agissez-vous pas d’une manière analogue, et cela avec des intentions plus pures, dans un but plus noble et plus élevé ?

Or cet avenir était, pour l’économe, le jour où il pourrait trouver un asile dans les maisons des débiteurs de son maître ; pour les disciples, enfants de la lumière, c’est la perspective des demeures éternelles. Il reste donc à examiner les deux autres points de la comparaison, les amis et le mammon.

Par les amis, la plupart des commentateurs entendent assez naturellement les hommes pour le bien desquels on aura employé sa fortune. Mais cette interprétation n’est pourtant pas à l’abri de toute objection. Comment Jésus peut-il dire, comme si cela allait de soi, que les hommes auxquels on aura fait du bien seront morts avant leurs bienfaiteurs, de manière à recevoir ceux-ci dans le séjour des bienheureux, quand ils y arriveront à leur tour ? Et puis sont-ce donc les hommes qui assurent une place à leurs semblables dans ce séjour-là comme les débiteurs de la parabole le font à l’égard de l’économe ? Nous croyons donc plutôt que les amis sont des personnes ou puissances qui disposent de ces places ; le pluriel, qui a engagé quelques interprètes à songer de préférence aux anges, ne nous gênera pas ici, parce qu’il est tout simplement emprunté au récit parabolique. L’amitié qu’on dit songer à gagner par un bon emploi des biens de la terre, c’est celle de Dieu (Luc, xix, 17), et s’il fallait absolument aller plus loin pour justifier le pluriel, le Christ se présenterait immédiatement à notre esprit pour l’expliquer (Matth., xxv, 34, etc.).