Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol22.djvu/178

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Voici ce que dit Reuss (p. 527) :

Dans cette péricope, le fond de la narration est le même chez les trois évangélistes, et les différences ne portent que sur les détails peu importants. Néanmoins ces différences sont de nature à nous faire reconnaître des rédactions plus ou moins libres ou indépendantes l’une de l’autre. Le personnage qui est mis en scène est désigné par Matthieu comme un jeune homme ; par Luc, comme un chef (de synagogue ou magistrat ?) ; les deux versions peuvent s’accorder à la rigueur. La question qu’il pose à Jésus paraît avoir été inspirée par un sentiment louable, à moins qu’on ne veuille supposer gratuitement qu’il était venu pour entendre dire qu’il ne lui restait plus rien à faire. Il ne se connaissait ni vices ni péchés graves ; mais il pensait qu’il fallait quelque chose de plus que la justice vulgaire pour aspirer à la félicité éternelle et, se représentant les conditions de l’entrée au royaume de Dieu comme une certaine quantité de choses à faire, il demandait à connaître ce qui pourrait encore lui manquer. Il aborde Jésus fort poliment avec une formule caressante : Mon bon Maître !

C’est à cette formule prononcée sans aucune arrière-pensée, que Jésus l’arrête pour lui faire comprendre que la chose dont il s’enquiert est infiniment plus sérieuse qu’il ne le pense :

Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul. Le Seigneur a parfaitement compris que cet homme ne doutait pas le moins du monde qu’il ne fût bon lui-même ; qu’il ne se faisait pas de soucis au sujet de la portée idéale de ce terme ou de cette notion, qu’il n’avait aucune idée de la grandeur des devoirs, mesurés d’après la sainteté absolue de Dieu et les besoins infinis de l’humanité. Eh bien, il doit apprendre avant tout à mesurer la distance qui le sépare du but, ou plutôt à entrevoir un but sur lequel il n’avait jamais jeté un regard. Le grand prophète auquel il parle, qu’il