Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol24.djvu/302

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et ne pas chercher à me réconcilier avec ceux qui ont des griefs contre moi.

Mais c’est peu. Je sais maintenant que ma colère est un état anormal, mauvais, maladif, et je sais quelle tentation m’y entraînait. Cette tentation consistait en ce que je me séparais de mes semblables, ne reconnaissant comme mes égaux qu’un très petit nombre d’entre eux et tenant tous les autres pour des gens de rien (ραϰά ou des bêtes sans culture (insensés). Je vois maintenant que cette séparation d’avec les hommes, ce jugement de « raca » et d’insensés porté contre les autres, était la cause principale de mon hostilité envers les hommes. Quand je me remémore ma vie antérieure, je vois maintenant que jamais je ne laissais grandir mon animosité contre les gens que je considérais comme mes égaux, et que jamais je ne les outrageais ; mais en revanche, un homme que je considérais comme mon inférieur me faisait-il la moindre chose désagréable, je me mettais en colère contre lui et me laissais aller à l’outrager, et plus je me trouvais supérieur à cet homme, moins il m’en coûtait de l’outrager ; parfois même il me suffisait de penser qu’un homme appartenait à une classe sociale inférieure, pour que je le traitasse d’une façon outrageante. Maintenant je comprends que celui-là seul est au-dessus des autres qui est humble avec les autres et se fait le serviteur de chacun. Je comprends maintenant pourquoi ce qui est grand