Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/120

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des roubles, c’est parce que j’en ai beaucoup, parce que j’en ai de trop, que non seulement je ne donne à personne mais que, d’un cœur léger, je prends aux autres. Que veut-il donc voir en moi, sinon un de ces hommes qui ont accaparé ce qui devrait lui appartenir ? Quel autre sentiment pourrait-il ressentir pour moi, sauf le désir de me prendre le plus possible de ces roubles pris à lui et aux autres !… Je veux me rapprocher de lui, je me plains de son manque de franchise ; mais moi j’ai peur de m’asseoir sur son lit et d’attraper des poux, j’ai peur de le laisser dans ma chambre, et lui demi nu, en venant chez moi, attend dans l’antichambre, ce qui est encore bien, mais le plus souvent à la porte. Et je dis qu’il est coupable de ce que je ne peux me rapprocher de lui, qu’il n’est pas franc.

Que l’homme le plus cruel essaye de dîner avec cinq plats parmi des gens qui ont peu mangé ou qui ne mangent que du pain noir. Personne n’aura le courage de manger et de voir se pourlécher autour de lui les affamés. Alors pour manger avec plaisir parmi ceux qui n’ont pas assez à manger, la première condition c’est de se cacher d’eux, de manger de telle façon qu’ils ne le voient pas. C’est ce que nous faisons tout d’abord.

J’ai regardé plus simplement notre vie et je me suis aperçu que le rapprochement des pauvres nous est difficile non par hasard mais parce que