Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/134

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autre partie de mon argent me vient de mes œuvres, de mes livres. Si mes livres sont nuisibles, alors on ne les achète que par la séduction, et l’argent que j’en reçois est mal acquis. S’ils sont utiles, c’est encore pire. Je ne les donne pas gratuitement aux hommes, mais je leur dis : donnez-moi dix-sept roubles et je vous les donnerai. Là-bas le paysan vend sa dernière brebis ; ici le pauvre étudiant, le professeur, chaque homme pauvre se privent du nécessaire pour me donner cet argent. Et voilà, j’ai ramassé ainsi beaucoup d’argent et qu’en ai-je fait ? J’apporte cet argent en ville et je le donne aux pauvres seulement quand ils remplissent mes caprices et viennent ici, en ville, nettoyer pour moi le trottoir, les réverbères, les bottes, travailler pour moi aux fabriques. En échange de cet argent, je marchande chez eux tout ce que je puis, c’est-à-dire je tâche de leur donner le moins possible et de recevoir d’eux le plus possible. Tout à coup, à l’improviste, je me mets à donner de l’argent aux pauvres, pas à tous, mais seulement à qui bon me semble. Comment donc chaque pauvre n’attendra-t-il pas que sur lui tombe aussi un peu de la chance d’être un de ceux à qui je m’amuse à distribuer mon argent fou ? C’est ainsi que tous me considèrent. C’est ainsi que me considérait la femme du cuisinier.

J’étais tellement égaré que, spolier d’une main