Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/99

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le désir et l’habitude de gagner leur pain, c’est-à-dire que leur malheur était identique au mien. Quant aux malheureux qu’on peut secourir immédiatement : les malades, les gelés, les affamés, sauf une certaine Agafia qui avait faim, je n’en trouvai point.

Je me suis convaincu qu’avec mon éloignement de la vie de ces gens que je voulais secourir, il était presque impossible de trouver de ces malheureux, car chaque misère vraie était presque toujours secourue par ceux parmi lesquels ils vivent. Je me suis principalement convaincu de ceci : que ce n’est pas avec l’argent que je pouvais changer la vie que mènent ces gens. Je me suis convaincu de tout cela, mais par la fausse honte d’abandonner l’entreprise commencée, séduit par ma vertu, je la continuai assez longtemps, jusqu’à ce que d’elle-même elle tombât à rien ; si bien que je me débarrassai à grand’peine, avec l’aide d’Ivan Fédotitch, au débit de la maison de Rjanov, des trente-sept roubles que je ne jugeais pas m’appartenir.

Sans doute j’aurais pu continuer cette œuvre et en faire un semblant de bienfaisance. J’aurais pu, en insistant près de ceux qui m’avaient promis de l’argent, les forcer à me le donner. J’aurais pu en recueillir encore ; j’aurais pu distribuer cet argent et me consoler de ma vertu, mais j’ai vu, d’un côté, que nous, les riches, ne voulons et ne pou-