Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/102

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comme ça, c’est mon mot favori : karga ; quand je dis karga, c’est signe que je plaisante. Eh bien ! mon père, commande qu’on me donne du vin. Tu as un ordonnance, n’est-ce pas ? Ivan ! — cria le vieux. — Chez vous autres, donc, chaque soldat s’appelle Ivan. Le tien c’est aussi Ivan ?

— Parfaitement, Ivan. Vanucha ! va chercher du vin chez les maîtres et apporte-le ici.

— Mais Vanucha c’est la même chose qu’Ivan. Pourquoi chez vous tous les soldats s’appellent-ils Ivan ? Ivan ! — répéta le vieux — tu le demanderas du fût qui est commencé. Ils ont le meilleur vin de la stanitza. Et, fais attention, ne donne pas plus de trente copeks pour un litre ; autrement, la sorcière est contente… Notre peuple est diabolique, bête — continua l’oncle Erochka d’un ton de confidence, quand Vanucha fut sorti, — il ne vous considère même pas comme des hommes ; pour eux, tu es pire que le Tatar. Les Russes sont les laïques. Mais pour moi, bien que tu sois soldat, tu es quand même un homme, tu as aussi une âme. N’ai-je pas raison ? Ilia Moceitch était soldat et quel cœur d’or c’était ! N’est-ce pas, mon père ? C’est pourquoi les nôtres ne m’aiment pas, et c’est pour moi tout égal. Je suis un homme gai, j’aime tout le monde, je suis Erochka, oui, c’est comme ça, mon père !

Et le vieux caressait tendrement l’épaule du jeune homme.