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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/168

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pensa-t-il. « Il faut vivre quand même, il faut être heureux, car je ne désire qu’une chose, le bonheur. Qu’importe ce que je puisse être : le même animal sur lequel, comme sur tous, l’herbe poussera, et pas plus, ou un cadre dans lequel est placée une partie de la divinité ; il faut quand même vivre le mieux possible. Comment donc faut-il vivre pour être heureux et pourquoi ne l’étais-je pas auparavant ? » Et il commença à se rappeler sa vie passée et il se faisait horreur. Il se trouvait lui-même égoïste, exigeant, tandis qu’en réalité rien ne lui était nécessaire. Et toujours il regardait autour de lui la verdure transparente, le soleil couchant, le ciel clair, et il se sentait heureux comme auparavant. « Pourquoi suis-je heureux, et pourquoi vivais-je auparavant ! » pensa-t-il. « Comment ai-je été exigeant pour moi et n’ai-je rien fait pour moi sauf honte et douleur ? Et voilà, pour être heureux, il ne me faut rien ! » Et, tout à coup, devant lui, brille une lumière nouvelle. « Le bonheur, le voilà, — se dit-il, — c’est de vivre pour les autres. C’est clair. En l’homme se trouve le besoin du bonheur, donc il est légitime. En le satisfaisant d’une façon égoïste, c’est-à-dire en cherchant pour soi richesse, gloire, commodité de la vie, amour, il peut arriver que les circonstances surgiront telles qu’il sera impossible de satisfaire à tous ses désirs. Alors ces désirs sont illégitimes, mais le besoin du bonheur, lui, n’est pas