Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/174

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regard calme et méprisant sur Olénine, prononça avec colère quelques sons saccadés. L’émissaire se hâta de couvrir d’un caftan le visage du cadavre. Olénine était étonné de la majesté du djiguite et de l’expression sévère de son visage. Il voulait lui parler, lui demander de quel aoul il était, mais le Tchetchenze le regardant à peine, cracha en signe de mépris et se détourna. Olénine était si étonné que le montagnard ne s’intéressât pas à lui, qu’il ne pouvait s’expliquer cette indifférence que par bêtise ou ignorance de la langue. Il s’adressa à son compagnon.

Le compagnon, émissaire et interprète, portait aussi des vêtements déchirés, mais il était brun et non roux, très remuant, ses dents étaient très blanches, ses yeux noirs et brillants. L’émissaire entra très volontiers en conversation et demanda une cigarette.

— Ils étaient cinq frères, — racontait l’émissaire en une mauvaise langue russe, — c’est déjà le troisième que les Russes tuent. Il n’en reste plus que deux. C’est un djiguite, un brave djiguite, — dit-il en désignant le Tchetchenze, — quand on a tué Akhmed-Kban (c’était le nom de l’Abrek tué), il était sur l’autre rive, assis dans les roseaux. Il a tout vu : comment on l’a mis dans le canot et amené sur la rive. Il est resté assis jusqu’à la nuit ; il voulait tuer le vieux, mais les autres l’en ont empêché.