Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/349

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l’obscurité, et les dépassant, je rejoignis le général. En passant devant l’artillerie, dont les canons étaient disposés à la file, et devant les officiers qui chevauchaient entre les canons, je fus frappé d’une voix allemande comme d’une dissonance désagréable dans une harmonie douce et grave. Cette voix disait : « Antéchrist… appor…te le feu ! » Et la voix d’un soldat répondit hâtivement : « Chertchenko ! le lieutenant demande du feu ! »

La plus grande partie du ciel se couvrait de longs nuages gris foncé, entre lesquels, par ci, par là, brillaient quelques pâles étoiles… La lune était déjà descendue derrière l’horizon très proche des montagnes noires qu’on distinguait à droite, et jetait sur leurs sommets une demi-lumière faible et tremblante qui faisait contraste avec l’obscurité impénétrable enveloppant leur base. L’air était chaud et si calme qu’il semblait que ni une petite herbe, ni le moindre nuage ne remuât. Il faisait si sombre qu’à la plus petite distance il était impossible de définir les objets. De chaque côté de la route j’apercevais tantôt des rochers, des animaux, des hommes étranges et je reconnaissais que c’étaient des buissons quand j’entendais leur bruissement, quand je sentais la fraîcheur de la rosée dont ils étaient couverts. Devant moi, j’aperçus une muraille noire compacte, vacillante, devant laquelle se mouvaient