Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/350

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quelques taches : c’était l’avant-garde de la cavalerie et le général avec sa suite. Une même masse sombre s’avancait au milieu de nous, mais elle était plus basse que la première, c’était l’infanterie. Un tel silence régnait dans tout le détachement qu’on percevait clairement tous les sons de la nuit qui se confondaient pleins de charme mystérieux. Les hurlements lointains, plaintifs, des chacals semblables tantôt à des sanglots désespérés, tantôt à des éclats de rire ; le chant sonore et monotone des grillons, des grenouilles, des cailles ; un houloulement quelconque, dont je ne pouvais nullement m’expliquer la cause, s’approchaient, et tous ces mouvements nocturnes, à peine remarqués, de la nature, qu’on ne peut ni comprendre ni définir, se confondaient en un son grave, beau, que nous appelons le calme de la nuit. Ce silence était interrompu ou plutôt se confondait avec les piétinements sourds des sabots et le frottement de l’herbe haute produits par le détachement qui s’avancait lentement.

On entendait rarement dans les rangs le bruit du grand canon, le son des baïonnettes qui se choquaient, les conversations retenues et l’ébrouement d’un cheval.

La nature respirait la beauté et la force conciliantes.

Est-ce trop étroit pour les hommes de vivre dans ce monde si beau sous cet incommensurable