Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/367

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flaient des deux côtés. Les nôtres, en silence, ripostaient par un feu roulant. Dans leurs rangs, on entendait seulement de temps en temps des réflexions de ce genre : « D’où tire-t-il[1] ? C’est avantageux pour lui de tirer dans la forêt ; il faudrait le canon… » etc.

Les canons furent introduits dans les lignes et après quelques salves de boulets, l’ennemi sembla faiblir, mais un moment après et à chaque pas en avant que faisaient nos troupes, les fusillades, les cris et les hurlements augmentaient.

Nous étions à une distance d’à peine trois cents sagènes de l’aoul, quand, au-dessus de nous, commencèrent à voler en sifflant, les boulets de l’ennemi. Je vis comment un soldat fut tué par un obus… Mais pourquoi raconter les détails de cet horrible tableau, quand moi-même je donnerais cher pour l’oublier ?

Le lieutenant Rozenkrantz tirait lui-même du fusil sans s’arrêter un moment. D’une voix rauque il stimulait les soldats, et en toute hâte courait d’un bout à l’autre des rangs. Il était un peu pâle, et cette pâleur allait bien à son visage hâlé.

Le joli sous-lieutenant était enchanté. Ses beaux yeux noirs brillaient de courage, sa bouche souriait un peu, il s’approchait sans cesse du capitaine et lui demandait la permission de se jeter à la baïonnette.

  1. Il c’est le nom général sous lequel les soldats caucasiens désignent l’ennemi. (Note de l’Auteur.)