Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol3.djvu/423

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et que Passek, Slieptzov et les autres ont affirmées, qu’il faut venir au Caucase pour être chamarré de décorations. Tous attendent et exigent cela de nous. Et voilà, moi je suis ici depuis deux ans, j’ai fait deux expéditions et je n’ai rien reçu. Mais quand même, j’ai tant d’amour-propre que pour rien au monde je ne partirais d’ici avant d’être major et d’avoir la décoration de Vladimir et la décoration d’Anne au cou. Je suis entraîné à un tel point que je suis vexé quand on donne une récompense à un Gnuilokichkine quelconque et pas à moi… Et ensuite, comment paraîtrais-je en Russie devant mon starosta[1], le marchand Kotelnikov à qui je vends du blé, devant ma tante de Moscou et devant tous ces messieurs, si après deux années de Caucase je revenais sans aucune récompense ?

Il est vrai que je fais fi de ces messieurs et qu’eux aussi, probablement, se soucient fort peu de moi, mais l’homme est bâti ainsi ; je ne veux pas les connaître et à cause d’eux je perds mes meilleures années, tout le bonheur de ma vie, tout mon avenir.

  1. «L’ancien » du village.