Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/15

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mouches, réchauffées par le soleil, bourdonnaient près des murs. Les plantes, les oiseaux, les insectes, les enfants étaient joyeux. Mais les hommes — les adultes — continuaient à se tromper et se torturer mutuellement. Les hommes estimaient que ce n’était pas cette matinée de printemps, cette beauté divine du monde créée pour le bonheur de tous les êtres, beauté les prédisposant à la paix, à la concorde et à l’amour, qui était sacrée et importante ; pour eux l’important était ce qu’ils avaient imaginé eux-mêmes pour se dominer les uns les autres.

C’est ainsi que, dans le bureau de la prison d’un chef-lieu de gouvernement, on considérait comme sacré et important, non pas la joie et l’attendrissement qu’apporte le printemps à tous les animaux et à tous les hommes, mais le fait d’avoir reçu, la veille, une feuille à en-tête, timbrée et numérotée, contenant l’ordre de conduire ce même jour, 28 avril, à neuf heures du matin, au Palais de Justice, trois détenus : deux femmes et un homme. L’une de ces femmes, présumée la plus coupable, devait être conduite séparément. Conformément à cet ordre, le 28 avril, à huit heures du matin, le surveillant-chef entra donc dans le corridor sombre et infect de la section des femmes. Derrière lui venait, dans le corridor, une femme au visage fatigué, à la chevelure grise bouclée, portant une blouse dont les manches étaient ornées de galons,