Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/59

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plus que ce n’était pas mon tour et que je me suis proposé moi-même. C’est toujours comme ça, on tue celui qui se propose. Et de quoi est-il malade ce maudit Neptchissetzkï ? Il est très possible qu’il ne soit pas du tout malade, et voilà, à cause de lui, on tuera un homme. On tuera assurément. Cependant, si l’on ne me tue pas, alors on me proposera pour l’avancement. J’ai remarqué que ça plaisait beaucoup au colonel quand j’ai dit :

« Si le lieutenant Neptchissetzkï est malade, permettez-moi d’y aller. » Si je ne suis pas promu au grade de major, j’aurai certainement la croix de Saint Vladimir. Ce sera, du reste, la treizième fois que j’irai au bastion. Oh ! treize ! c’est un mauvais nombre. On me tuera, sûrement ! Je suis sûr d’être tué. Il fallait pourtant que quelqu’un y allât, on ne peut envoyer la compagnie avec un lieutenant. Et s’il arrive quelque chose ? C’est donc l’honneur du régiment, l’honneur de l’armée qui est en jeu. Mon devoir était d’y aller. Oui, c’était mon devoir sacré. Et quand même j’ai un pressentiment. »

Le capitaine en second oubliait qu’un pressentiment semblable, plus ou moins fort, ne lui venait pas à l’esprit pour la première fois, et il ne savait pas que quiconque va à une affaire éprouve à un degré plus ou moins grand, un pareil pressentiment. Tranquillisé par l’idée du devoir qui, chez le capitaine en second, était particulièrement déve-