Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/143

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— Eh bien ! Dieu soit avec lui ! — répondit-il à Zakhar qui lui expliquait la situation triste d’Albert.

— Demain je lui demanderai définitivement s’il veut ou non rester chez moi et suivre mes conseils ? Si non, alors tant pis. Il me semble que j’ai fait tout ce que je pouvais.

— « Voilà, faites le bien aux hommes ! » — pensa-t-il — « Pour lui je me gêne, je garde dans ma maison cet être malpropre, si bien que le matin je ne puis recevoir un visiteur inconnu ; je fais des démarches, je cours pour lui et il me regarde comme un malfaiteur qui, pour son plaisir, l’a enfermé dans une cage. Et surtout lui-même ne ferait pas un pas. Ils sont tous comme ça ! »

Ce « tous » se rapportait aux hommes en général et en particulier à ceux avec qui il avait eu affaire aujourd’hui.

« Et que devient-il maintenant ? À quoi pense-t-il, qu’est-ce qui l’attriste ? Il regrette la débauche d’où je l’ai tiré, l’humiliation où il vivait, la mendicité dont je l’ai sauvé ? Évidemment il est tombé déjà si bas qu’il lui est difficile de se faire à une vie honnête… »

« Non, c’était un acte enfantin, — décida Delessov. — Pourquoi me mettrais-je à corriger les autres ? Que Dieu me donne seulement de me tirer d’affaire moi-même. »

Il voulait le laisser partir tout de suite. Mais réfléchissant un moment, il remit cela au lendemain.