Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/197

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devint grossier avec le chanteur, celui-ci s’avoua son inférieur. Cet État est libre, ce que les hommes appelent positivement libre, cet État où l’on peut emprisonner un citoyen par cela seul que lui, sans nuire à personne, a fait la seule chose qui puisse l’empêcher de mourir de faim.

Malheureuse, misérable créature, que l’homme avec son besoin de décision positive, jeté dans cet océan sans cesse mouvant, infini, du bien et du mal, des faits, des considérations et des contradictions ! Les hommes luttent pendant des siècles et travaillent pour repousser d’un côté le bien, et de l’autre le mal. Les siècles passent, et partout, quelque chose que, sans parti pris, l’esprit jette sur la bascule du bien et du mal, la bascule n’oscille pas et le bien et le mal s’équilibrent.

Si seulement l’homme apprenait à ne pas juger ni penser d’une façon sèche, absolue, à ne pas donner la réponse aux questions qu’on lui pose, seulement pour qu’elles restent des questions ; s’il comprenait seulement que chaque pensée est mensongère et juste ! Elle est mensongère par l’unilatéralité, par l’impossibilité pour un homme d’embrasser toute la vérité, et elle est juste par l’expression d’un côté des aspirations humaines. On a fait des subdivisions dans ce chaos éternellement mobile, infini, mêlé de bien et de mal. On a tracé des lignes imaginaires sur cette mer et on attend qu’elle se divise ainsi. Comme s’il n’y avait