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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/215

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imagination. Même quand cela m’arrive je ne crois vraiment pas que c’étaient mes rêves, tellement ils étaient étranges et loin de ma vie.

À la fin de mai, Sergueï Mikhaïlovitch, comme il l’avait promis, rentra de voyage.

La première fois, il arriva le soir, nous ne l’attendions pas du tout. Nous étions assises sur la terrasse et allions boire le thé. Le jardin était déjà tout vert et, dans les massifs épais, les rossignols s’étaient installés depuis la Saint-Pierre. Les buissons fourchus de lilas paraissaient, par endroits, couverts en haut de quelque chose de violet clair. C’étaient des grappes prêtes à s’épanouir. Le feuillage de l’allée des bouleaux était tout transparent sous le soleil couchant. La terrasse était couverte d’ombre fraîche. Une forte rosée du soir devait tomber sur l’herbe. Dans la cour, derrière le jardin, s’entendaient les derniers sons du jour ; le bruit des troupeaux rentrant à l’étable. L’innocent Nikone poussait un tonneau sur le sentier, devant la terrasse, et le froid jet d’eau de l’arrosoir noircissait des cercles sur la terre retournée autour des pieds de dahlias et des supports. Chez nous, sur la terrasse, le samovar bien astiqué, brillait et bouillait sur la nappe blanche où étaient aussi la crème, le pain, les gâteaux. Katia, de ses mains épaisses, nettoyait les tasses. Moi, sans attendre le thé, affamée après le bain, je mangeais du pain avec de la crème épaisse et fraîche. J’avais une blouse de co-