Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/235

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violette ? — me dit-il toujours bas, bien qu’il n’eût plus à craindre d’éveiller quelqu’un. — Aussitôt que je me suis approché de vous, après toute cette poussière, cette chaleur, ce travail, aussitôt j’ai senti le parfum des violettes. Et pas d’une violette parfumée, mais de cette humble violette qui sent la neige fondue et l’air printanier.

— Eh bien ! Comment va l’exploitation ? — demandai-je pour cacher la gêne heureuse que me produisaient ces paroles.

— Admirable ! Ce peuple est toujours très brave, plus on le connaît, plus on l’aime.

— Oui, — dis-je. — Aujourd’hui, avant votre arrivée, du jardin, j’ai regardé les travaux et soudain je me suis sentie honteuse qu’eux travaillent et que moi je sois si bien, que…

— Ne faites pas de coquetterie avec cela, mon amie, — m’interrompit-il en me regardant dans les yeux, tendrement mais sérieusement, — c’est une chose sacrée. Que Dieu vous garde de faire parade de sentiments semblables.

— Mais je ne dis cela qu’à vous.

— Oui, je le sais. Eh bien ! comment nos cerises… ?

L’enclos était fermé et il n’y avait pas de jardiniers (il les avait envoyés tous aux travaux). Sonia courut chercher les clefs, mais lui, sans l’attendre, se hissa sur le coin, souleva le treillage et sauta de l’autre côté de l’enclos.