Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/236

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— Voulez-vous me donner une assiette ? me dit-il.

— Non, je veux aussi en cueillir, j’irai chercher la clef, — dis-je. — Sonia ne la trouvera pas…

Mais en même temps je voulais voir ce qu’il faisait, quelle mine il avait et comment il se remuait, supposant que personne ne le voyait, et tout simplement, en ce moment je ne voulais pas le perdre de vue d’une seconde. Sur la pointe des pieds, au milieu des orties je fis le tour de l’enclos ; de l’autre côté c’était plus bas, et je grimpai sur un tonneau vide, si bien que le mur m’arrivait au-dessous de la poitrine : je me penchai à l’intérieur de l’enclos, je regardai les vieux arbres penchés, aux feuilles larges, pointues à travers lesquelles pendaient, droites et lourdes, des baies noires savoureuses, et, penchant la tête sous le treillage, j’aperçus, sous la branche courbée du vieux cerisier, Sergueï Mikhaïlovitch. Il pensait probablement que j’étais partie et que personne ne le voyait. Le chapeau ôté, les yeux fermés, il était assis sur le tronc du vieux cerisier et roulait patiemment un morceau de gomme de cerisier. Tout à coup il haussa les épaules, ouvrit les yeux et sourit en prononçant quelque chose. Ce mot et ce sourire étaient si peu semblables à lui que j’avais honte de l’avoir épié. Il me sembla qu’il avait prononcé : « Macha ! » Ce n’est pas possible, pensai-je : « Chère Macha ! » répéta-t-il déjà plus bas et encore plus tendre-