Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/251

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nous dire les vêpres. Mais je le remerciais, avec émotion, de ce qu’il voulait, à ce que je pensais, faire pour moi, et je lui répondais que je viendrais moi-même à pied ou en voiture.

— Vous voulez vous-même en prendre la peine ? — disait-il. Et je ne savais que répondre pour ne pas commettre un péché d’orgueil. Arrivée à l’église, je renvoyais toujours ma voiture si j’étais sans Katia et rentrais seule à pied en saluant bas et humblement tous ceux que je rencontrais et en tâchant de trouver l’occasion d’aider, de conseiller quelqu’un, de me sacrifier ; d’aider à soulever une charrette, à bercer un enfant, céder la route, me salir. Un soir j’entendis l’intendant raconter à Katia que le moujik Sémion était venu demander des voliges pour le cercueil de sa fille et un rouble d’argent pour l’office mortuaire, et qu’il le lui avait donné.

— Sont-ils donc si pauvres ? — demandai-je.

— Très pauvres, mademoiselle, ils n’ont pas de sel », — répondit l’intendant. Quelque chose me serra le cœur et en même temps j’éprouvai un certain plaisir à apprendre cela. Trompant Katia par le prétexte que j’allais me promener, je courus en haut, pris tout mon argent (j’en avais peu, mais je pris tout), et me signant, je partis seule par la terrasse et le jardin, au village, à l’izba de Sémion. Elle était au bout du village et sans être aperçue de personne, je m’approchai de la fenêtre,