Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/255

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en moi un monde nouveau, que je ne comprenais pas et qui m’était supérieur. Je ne me sentis nullement gênée avec lui. Il me comprenait sans doute et se montrait particulièrement timide, doux et même respectueux envers moi. Je m’approchai du piano mais il le referma et mit la clef dans sa poche.

— « Ne gâtez pas votre état d’esprit, — dit-il. — Il y a maintenant en votre âme la plus belle musique qui soit au monde. » Je lui étais reconnaissante de ces paroles et, en même temps, il m’était un peu désagréable qu’il comprit trop facilement tout ce qui se passait en mon âme et devait être un secret pour tous. Pendant le dîner, il nous annonça qu’il était venu pour me féliciter et en même temps nous dire adieu, car demain il partirait à Moscou. Ce disant, il regardait Katia, mais après il me jeta un regard rapide et j’aperçus qu’il craignait de voir l’émotion de mon visage. Mais je n’étais ni étonnée, ni troublée et même je ne demandai pas si c’était pour longtemps. Je savais qu’il disait cela et ne partirait pas. Comment le savais-je ? Maintenant je ne puis même me l’expliquer. Mais en ce jour mémorable, il me semblait que je savais tout ce qui devait arriver. J’étais comme dans un rêve heureux, où tout ce qui n’est pas semble déjà être et connu depuis longtemps ; et tout viendrait encore, je savais ce que ce serait.

Il voulut partir aussitôt après dîner. Mais Katia,