Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/256

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fatiguée après la messe, était allée se coucher un moment et il devait attendre qu’elle s’éveillât pour lui dire adieu. La salle était inondée de soleil.

Nous sortîmes sur la terrasse. Aussitôt assis, j’engageai tout tranquillement la conversation qui devait décider du sort de mon amour. Je commençai à parler, ni plus tôt ni plus tard, mais juste quand nous nous assîmes, et avant que rien d’autre n’eût été dit, avant que la conversation n’eût pris un ton, un caractère pouvant gâter ce que je voulais dire. Je ne comprends pas moi-même d’où je prenais tant de calme, de précision, de fermeté d’expression. C’était comme si je ne parlais pas moi-même et que quelque chose, indépendant de ma volonté, eût parlé en moi. Il était assis en face de moi, appuyé sur la balustrade ; il tirait les branches des lilas et en arrachait les feuilles. Quand je commençai à parler, il lâcha la branche et appuya la tête dans sa main. Ce pouvait être l’attitude d’un homme tout à fait tranquille ou tout à fait ému.

— Pourquoi partez-vous ? lui demandai-je avec importance, lentement et en le regardant en face.

Il ne me répondit pas tout suite.

— Des affaires ! — prononça-t-il en baissant les yeux.

Je compris qu’il lui était difficile de me mentir, surtout à une question posée si franchement.

— Écoutez, — dis-je. — Vous savez quel est