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Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/274

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ment qu’il se passait en moi quelque chose d’extraordinaire. Quand le prêtre, la croix dans la main, se tourna vers nous, me félicita, rappela qu’il m’avait baptisée et que Dieu lui permettait de me marier, Katia et sa mère nous embrassèrent et on entendit la voix de Grigori qui appelait la voiture. Je m’étonnais et m’effrayais que tout fût déjà fini et que rien d’extraordinaire, correspondant au mystère qui m’envahissait, ne se fît pas dans mon âme. Nous nous embrassâmes lui et moi et ses baisers étaient si étrangers à nos sentiments. « Est-ce tout ? » pensai-je. Nous sortîmes sur le parvis, le bruit des roues éclata sous les voûtes de l’église, l’air frais cingla les visages, il mit son chapeau et m’aida à m’installer dans la voiture.

Par la portière, je vis la lune entourée d’un halo froid. Il s’assit près de moi et ferma la portière. Quelque chose me mordit au cœur ; l’assurance avec laquelle il faisait cela me semblait blessante. Katia criait que je m’enveloppasse la tête ; les roues frappèrent sur les pierres, ensuite sur la route unie et nous partîmes. Pelotonnée dans le coin, je regardais, derrière la vitre, les champs lointains, clairs, la route qui semblait fuir sous le froid reflet de la lune. Sans le regarder, je le sentais près de moi : « Quoi ! c’est tout ce que m’a donné ce moment dont j’attendais tant ? » pensais-je, et je jugeais humiliant et blessant d’être assise en tête-