Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol5.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de quelque travail, parfois pour ses affaires il partait en ville ou dans le domaine, mais je voyais quels efforts il lui coûtait de se détacher de moi. Et après, lui-même avouait que tout endroit où je n’étais pas lui semblait si stupide qu’il ne pouvait même comprendre comment on pouvait s’y intéresser en quelque façon. De mon côté, c’était la même chose. Je lisais, je faisais de la musique, je m’occupais de ma belle-mère, de l’école, mais tout cela exclusivement parce que chacune de ces occupations avait quelque rapport avec lui et obtenait son approbation. Mais dès que la pensée de lui ne se mêlait pas à quelque travail, mes mains tombaient et il me paraissait étrange de penser qu’il existait au monde quelque chose, hors lui. C’était peut-être un sentiment mauvais, égoïste, mais ce sentiment me donnait le bonheur, et me soulevait bien au-dessus de tout. Lui seul existait pour moi et je le considérais comme le meilleur des hommes, le plus impeccable qui fût ; c’est pourquoi je ne pouvais vivre pour d’autres que pour lui, mais pour paraître à ses yeux telle qu’il me jugeait. Et il me considérait comme la meilleure des femmes, il m’attribuait toutes les vertus possibles. Et je tâchais d’être cette femme aux yeux du meilleur et du plus remarquable des hommes.

Une fois il entra dans ma chambre pendant que je priais. Je me retournai vers lui et continuai ma prière. Il s’assit près de la table pour ne pas me dé-